
Lê Phô, Femme au chignon
Huile sur toile
Collections du ministère de la Justice
En dépôt au musée Cernuschi depuis 2023
MJ 928
Lê Phô est issu d’une grande famille mandarinale. Son père, Lê Hoan (1856-1915), était gouverneur de la province de Bắc Ninh puis de Hải Dương dans le Tonkin. Lê Phô reçoit dans ses jeunes années une éducation emprunte de culture classique confucéenne, incluant l’écriture des caractères chinois. Il poursuit ses études secondaires au lycée du Protectorat à Hanoï où il apprend le français et probablement les rudiments du dessin. En 1923, il entre à l’École des arts appliqués ou « École Professionnelle » de Hanoï, dirigée depuis 1919 par Gustave Hierholtz (1877-1954). Sous la direction de ce sculpteur diplômé des Arts décoratif de Paris, Lê Phô acquiert un bon niveau en dessin qui lui permet d’être admis lors du premier concours d’entrée à l’École des beaux-arts de l’Indochine en 1925. Il en sort diplômé en 1930. Il est alors chargé de cours de dessin et assiste aussi Victor Tardieu, le directeur de l’École des beaux-arts de l’Indochine, pour préparer l’aménagement de la section indochinoise de l’Exposition coloniale dont l’ouverture est prévue en mai 1931.
C’est à cette époque, juste avant son premier séjour en France, que Lê Phô peint cette toile. Le jeune artiste est alors reconnu pour ses huiles et ses panneaux laqués. Son talent vient d’être souligné par la critique parisienne grâce à la présentation au Salon des artistes français de 1930 de sa grande composition intitulée La Maison familiale au Tonkin qui y obtient une mention honorable. Lê Phô est le premier de tous les élèves formés à l’École des beaux-arts de l’Indochine à s’être vu confier, grâce à l’entremise de Victor Tardieu avec lequel il entretenait une relation quasi-filiale, une grande commande destinée à une institution française. La Maison familiale au Tonkin, achevée en 1929, était destinée à décorer la salle de lecture de la Maison des étudiants indochinois de la Cité universitaire de Paris qu’elle rejoint après son exposition au Salon. Encouragé par la bonne réception critique de cette première grande œuvre, Lê Phô poursuit dans ce premier style à l’atmosphère silencieuse et empreinte de nostalgie. Dans sa vision d’un Vietnam immuable, la modernité ne semble pas avoir sa place. Les personnages sont perdus dans leurs pensées, immobiles. Le dessin est réaliste, mais les ombres peu marquées accentuent l’impression de touffeur qui écrase la scène.
Dans sa Femme au chignon, Lê Phô restreint volontairement sa palette à des tons bruns et verts assourdis. Le personnage, une femme mariée, comme l’indique sa coiffure, est perdu dans ses pensées dont l’étang et les méandres des allées du jardin se font l’écho. Une autre toile de la même époque représente la même femme au chignon accompagnée d’un poème célèbre où la noble dame se languit de son époux parti au combat. La représentation de profil évoque les portraits de la Renaissance italienne, mais la simplification du modelé et le traitement par masses colorées s’inscrivent dans le goût des années trente. La toile brute, sans préparation, est laissée visible par endroits, tandis que des jeux de matière animent la composition : l’épaule vue en raccourci est brillante, comme le tronc de l’arbre. La chevelure est au contraire mate, la préparation ne contenant que peu de liant. Des traits gravés au niveau de la tempe et du chignon figurent les mèches de cheveux.