Le futur des formes
Céramiques japonaises contemporaines

La création contemporaine
Il y a 75 ans, le musée Cernuschi présentait la première exposition de céramiques japonaises contemporaines en France sous la direction de René Grousset, réunissant des œuvres à la fois traditionnelles et avant-gardistes. Plus récemment entrées dans les collections, les pièces aujourd’hui dévoilées au public témoignent d’un engagement renouvelé du musée envers la création contemporaine japonaise, dans toute sa diversité. Cette ouverture se manifeste aussi bien par une volonté de contribuer à la protection d’un patrimoine technique et esthétique que par la mise en lumière d’approches profondément novatrices de la matière et des formes.

Un terrain d’expérimentation
Les œuvres de cette sélection, principalement des vases et des objets liés à la cérémonie du thé, conservent pour la plupart un aspect utilitaire. Pour autant, ces formes traditionnelles demeurent un terrain d’expérimentations plastiques pour les potiers. Le grès et la porcelaine prennent des aspects multiples : surfaces lisses ou irrégulières, décors travaillés à la main ou couvertes naturelles, formes tournées ou modelées. Les pièces exposées apparaissent ainsi comme autant d’expressions de la sensibilité des artistes et de leur créativité.
 

« Trésors Nationaux Vivants » et céramistes sculpteurs
Depuis 1950 et dans une volonté de protéger son patrimoine immatériel, l'Etat japonais désigne des artistes en tant que « Trésors Nationaux Vivants » dans de nombreux domaines de l’artisanat et des arts de la scène. Gardiens d’un savoir-faire traditionnel, ces artistes jouent un rôle dans le maintien et la transmission de compétences et techniques artistiques. C’est le cas de Maeta Akihiro, maître de la porcelaine blanche, et d’Isesaki Jun qui perpétue l’héritage de la céramique de Bizen. D’autres artistes, tels que Mihara Ken et Kobayashi Masami, exposés en contrepoint dans la dernière salle du parcours permanent, choisissent quant à eux d’abandonner toute fonction utilitaire, privilégiant la dimension sculpturale héritée des mouvements d’avant-garde du 20e siècle.

L’exploration d’un domaine dynamique
Pour autant, le soin apporté au travail des lignes et des formes semble transcender cette diversité d’approches. Celui-ci émerge d’un profond respect pour la terre et le feu, les deux composantes essentielles de la création céramique. La manipulation plus ou moins contrôlée de ces éléments naturels nourrit une création sobre et emprunte de spiritualité, caractéristique de ce pan de la collection du musée Cernuschi. La céramique japonaise contemporaine est un domaine particulièrement dynamique aux facettes nombreuses qu’il convient de continuer à explorer pour en saisir pleinement la richesse.

Artistes présentés dans l'exposition :

Isezaki Jun 伊勢崎 淳 (né en 1936), Trésor National Vivant
Fujiwara Kazu 藤原和 (né en 1958)
Futamura Yoshimi 二村好美 (née en 1959)
Kobayashi Masami 小林政美 (né en 1952)
Koike Shōko 小池頌子 (née en 1943)
Maeta Akihiro 前田 昭博 (né en 1954), Trésor National Vivant
Michikawa Shōzō 道川省三 (né en 1953)
Mihara Ken 三原 研 (né en 1958)
Miyashita Zenji 宮下善爾 (1939-2012)
Niisato Akio 新里明士 (né en 1977)

Focus sur trois artistes dont les oeuvres figurent parmi les acquisitions récentes du musée :

MAETA AKIHIRO

Maeta Akihiro travaille d’abord la porcelaine blanche au tour puis utilise ses mains pour sculpter les facettes de la pièce en pressant délicatement les parois. Il efface ensuite les traces de son intervention grâce à une lame pour obtenir une surface parfaitement lisse. La pièce est cuite à une température relativement faible, ce qui confère à la couverte cette couleur blanche laiteuse. Derrière l’apparente simplicité des formes fonctionnelles de Maeta se cache une précision et une technique exigeante dans les gestes de l’artiste. Cette esthétique minimaliste est particulièrement importante aux yeux de l’artiste, qui explique « Dans la culture japonaise, la beauté du non-dit constitue tout un monde qui ne saurait être atteint en y ajoutant des ornements. » Maeta est désigné Trésor National Vivant en 2013 et est considéré aujourd’hui comme l’un des céramistes les plus importants de sa génération.

MICHIKAWA SHŌZŌ

Michikawa Shozo

Michikawa Shōzō crée des formes puissantes, complexes et mouvementées à partir d’un morceau d’argile qu’il place sur le tour, qu’il découpe assez sobrement dans un premier temps. Il utilise ensuite sa main ou un bâton pour travailler la forme, à l’aide de la force centrifuge, depuis l’intérieur sans toucher à la surface extérieure. Il utilise ici la technique du tanka, qui consiste à cuire les poteries placées dans des boîtes avec du charbon, pour décorer des pièces comme celle-ci. Il obtient ainsi une couleur sombre qu’il contraste en émaillant certaines parties avec une couverte argentée. Malgré l’aspect sculptural et inédit de ses pièces, Michikawa attache une importance particulière à leur attribuer une dimension fonctionnelle, tel un hommage à la céramique traditionnelle.

MIHARA KEN

Mihara

« Du vide, je trouve une forme à travers une seule courbe. Cette forme vient-elle d’une mémoire ancienne ou de mes conversations avec l’argile ? De la flamme et du feu, une nouvelle histoire commence à émerger. » Mihara Ken débute sa carrière par la réalisation de pièces fonctionnelles puis s’attache à déstructurer les formes, en laissant l’argile guider sa main au moment de la création pour aboutir à des résultats inattendus. La terre non émaillée provenant d’Izumo, sa région natale, prend des nuances d’orange et de gris au cours des multiples cuissons. L’œuvre présentée ici appartient à la série Kuon, terme pouvant être traduit par « éternité », dans laquelle l’artiste amorce une réflexion sur la relation entre le passé et le futur.

L'été japonais au Musée Cernuschi se tiendra du 27 mai au 12 octobre 2025 avec la présentation de l’exposition Focus « Le Futur des formes. Céramiques japonaises contemporaines », la présentation des créations de Shimomura Ryōnosuke du 3 juin au 12 octobre en salle peinture, et l’organisation les 6 et 7 juin, de deux Journées d'étude sur le thème de "L'art du thé en Asie orientale".